fire and blood

Tout dans l’attitude de ses parents suggérait qu’il s’apprêtait à passer un mauvais quart d’heure. Ils étaient tous les trois réunis dans le salon et la tension était là, presque palpable entre eux. Ronan s’efforçait de regarder ailleurs, feignant d’être occupé en tripotant son smartphone alors qu’il sentait peser lourdement les regards de ses géniteurs sur lui. Devant lui, assis dans un fauteuil en cuir crème, son père se racla la gorge. Ronan, percevant dans ce simple bruit le manque de patient suintant de son paternel, leva les yeux sur lui en s’efforçant de ne pas avoir trop l’air d’un renard coincé entre deux chiens de chasse. Il darda sur son père un regard emplit d’une curiosité retenue. Ce dernier l’observait avec l’expression de celui qui est au bout du rouleau. Tout a coup, il lui parut plus vieux. Il décelait du gris dans sa chevelure brune et il y avait de la fatigue dans son regard. Ce dernier portait les traces d’une longue semaine de boulot et contrastait vivement avec le regard vif et lumineux de son fils unique. « Ca ne peut plus continuer comme ça, Ronan. » Lâcha-t-il sur un ton qui ne souffrait guère de contestation. « Qu’est-ce que tu veux dire ? » Lança le principal intéressé sur le ton de l’innocence. Il sentait venir le savon à des kilomètres et ne se sentait pas la patience d’y faire face. Il avait une soirée à préparer le soir-même et ne s’attendait pas à assister  à une réunion de crise lorsqu’il avait décidé de rentrer chez ses parents pour se reposer un peu en attendant. Il regrettait désormais amèrement d’être rentré car sachant pertinemment qu’il n’était pas prêt de s’échapper de la confrontation qui couvait. « Ce que ton père veut dire » intervint sa mère, qui était jusque-là silencieuse, « c’est que la vie, ce n’est pas ça. Les soirées, les sorties... C’est le quotidien d’un adolescent. » Lui lança-t-elle sur un ton de reproche, ses sourcils blonds cendrés parfaitement épilés légèrement froncés. Elle arborait une moue grimaçante qui lui donnait l’air d’avoir mordu dans un citron. Elle aussi paru comme vieillie à Ronan. Alors que l'excuse du travail ne s'appliquait pas à elle (elle avait cessé de bosser après sa grossesse, prétextant vouloir passer du temps avec son petit bébé, ce qui était crédible et normal, mais après elle s'était entourée d'une équipe de nounous sans reprendre pour autant), il lisait les années écoulées dans ses yeux d'un bleu lumineux et surtout de la lassitude dans sa voix. C'était là tout le problème en fait. L'un comme l'autre étaient à une époque de leurs vies où ils comprenaient plus que jamais qu'ils n'allaient pas être éternels. Par dessus le marché, le bébé qu'ils avaient accueillis à la maternité avait déjà vingt-quatre ans, leur rajoutant définitivement un coup de vieux. Ronan avait devant lui l'avenir de l'empire familial, l'avenir de leur famille en général et ils étaient en train de s'arracher les cheveux car ne voyant en sa vie que le quotidien d'un adolescent dévergondé. Vision qui, naturellement, n'était pas celle du principal intéressé. Dardant un regard offusqué sur sa mère, il repris la parole. « La vie d'un adolescent ? Mais je bosse ! Je bosse et je suis bon dans ce que je fais, si seulement vous daignez vous intéresser plus à mon boulot, peut-être que vous le verriez... » « Tu veux dire comme tu t'intéresses au cabinet ? » Ronan se mordit doucement la lèvre en se tournant vers son père qui venait de le couper d'une voix comme recouverte de givre. Il n'était plus que froideur et impatience mal contenue. Il ne pouvait décemment pas rétorquer en toute bonne foi à son père que ce dernier avait tort et qu'il avait toujours pris la peine de s'intéresser à l'empire familiale, ce cabinet d'avocats qu'ils se refilaient de père en fils depuis des générations de Lindgard. Il avait tenté des études de droit sous la pression paternelle, mais cela c'était soldé par un échec dut au manque de motivation et d'implication flagrant de Ronan. Il savait que son père n'avait jamais véritablement digéré cela. Le jour où il avait laissé sur l'université sur le bas côté, Ronan avait foutu un beau coup à la certitude de son père comme quoi tous les hommes sans exception de la famille Lindgard étaient taillés pour prospérer dans le droit. Ronan n'estimait pas lui avoir véritablement donné de faux espoirs, mais il n'avait pas put ébranler l'idée de son père comme quoi il allait forcément tomber amoureux du droit avant son départ précipité de la fac. Il savait qu'il était tombé de très haut ce jour-là et à voir sa tête et la façon qu'il avait de le regarder, la chute s'éternisait encore. « Je » sa mère l'interrompit avant qu'il n'aille plus loin. Elle s'était approchée de lui et venait de poser une main sur son genoux, comme pour l'intimer par ce geste au silence. « Ce n'est pas une question, Ronan. » Et il ne releva pas davantage, sachant pertinemment que dans de telles circonstances, il n'avait strictement rien à gagner à jouer les fortes têtes. Piquer une colère reviendrait à donner raison à son père qui aurait un exemple parfait de son fils se comportant comme un enfant. Il le laisserait gagner en se rebellant et il en ferait de même en le laissant l'accabler de reproches. Autrement dit, il était vraiment foutu. Par dessus le marché il était en infériorité numérique et se sentait cerné de toutes parts. Il était préférable de les laisser parler et de serrer les dents et c'est donc ce qu'il fit, gardant au prix d'un effort la bouche fermée. « Aussi approprié qu'il puisse te paraître, ce boulot n'en est pas un. Ta place est au cabinet, avec moi. Je suis capable de combler les lacunes que tu as, on peut y remédier. Il le faut » il s'exprimait à propos du fait que la place de son fils était à la tête du cabinet avec la même conviction que celle qu'il aurait employé pour affirmer que le ciel était bleu. Comme s'il avait forcément raison et Ronan tort, comme s'il n'était même pas envisageable qu'il puisse se gourer et ne pas connaître son fils aussi bien qu'il le pensait. Ronan s'était tendu dans son siège et sa mère dut le percevoir. « Ca ne couteras strictement rien d'essayer. Et d'essayer sérieusement, Ronan. » Elle tâchait là d'arrondir un peu les ongles. A croire qu'ils avaient préparés longuement cette intervention et s'étaient distribués les rôles des bons et gentils flics. Enfin, en ce qui concernait Ronan, il les trouvait en cet instant tout aussi horripilant l'un que l'autre. En dépit de ses efforts pour ne pas s'énerver, il ne devait guère pour autant avoir l'air très convaincu car il entendit un soupire affligé poussé par son père comme s'il voyait d'ores et déjà en son fils un véritable cas perdu. Sa mère de son côté avait elle aussi l'air à bout de patience, mais elle prenait davantage sur elle et quitte à  focaliser son attention sur l'un deux, il la préféra donc à son géniteur. « Tu dois te calmer. Le travail c'est une chose, mais Ronan, tu as besoin de stabilité, d'encadrement. » L'intéressé fronça les sourcils, tâchant de comprendre où elle voulait en venir avant qu'elle n'y parvienne histoire de ne pas avoir trop l'air de trouver l'idée stupide. « Trouver une gentille fille, peut-être...? » Et elle le regarda avec dans le regard une espèce d'air de conspiratrice qui lui fila la nausée. Il se sentait piégé et savait pertinemment qu'ils ne le laisseraient pas filer s'ils n'avaient pas l'impression que leurs paroles avaient réussis à se faire un chemin jusqu'à son cerveau. Il trouverait bien une façon de régler cela plus tard. Ainsi, sans ajouter quoi que ce soit, il acquiesça en adressant à sa mère un sourire confiant.